Assez grandiose par moments, parfois grandiloquent, parfois un poil chiant, mais indéniablement, un film monument, adapté intelligemment. On se souvient d'un League of Extraodinary Gentlemen où les personnages étaient lourdement exposés, alors qu'ici Snyder ajoute des détails raffinés, comme de mettre dans le repaire d'Ozymandias la statue qu'évoque Shelley dans le poème qui est la source de Moore pour le nom de son personnage, ou comme de glisser en douce des problématiques plus contemporaines dans l'intrigue. Il y a aussi quelque chose de fascinant, qu'on retrouve dans des films comme les Matrix, 300 ou Sin City, à voir un cinéma qui, grâce à la technologie, est complètement asservi à l'imaginaire de l'auteur. C'est infiniment artificiel, d'étouffant presque, mais aussi véritablement spectaculaire. Ça fonctionne très bien dans les Matrix vu que la question du réel et du fictif est au coeur de la trilogie et ça fonctionne aussi très bien dans 300 et Watchmen qui ne sont que les reflets déformés de fictions dans un autre médium. Dans le même ordre d'idée, quand on voit le Nixon de Watchmen, on pense à Dick Tracy (autre film adapté d'un comics) où, comme Laurent l'évoquait à la sortie du film, quand la chevauchée des valkyries accompagne les images du Vietnam, ça raisonne. |
J'adore cette sublime figure de style! C'est quoi déjà en rhétorique quand deux termes homophoniques disent deux choses différentes mais complémentaires? |
Ça c'est une question pour Vincent! |
pfiou... je ne suis même pas certain que ce soit répertorié... c'est une sorte d'à-peu-près, mais avec une touche de subtilité... |
Un et demi. Tout ça m'a laissé un peu indifférent. |
Il faudra s'y remettre maintes fois pour parler vraiment de cette œuvre complexe - encore un de ces films récents impossibles à saisir tant il juxtapose les points de vue sans véritablement en épouser un explicitement. Un peu à la manière de Lynch, lorsque celui-ci relisait le spectacle désastreux des riots de Los Angeles à l'aune du conte de fées (Wild At Heart), Snyder convoque fréquemment les débordements de brutalité amorale propre à la rhétorique droitière, mais sans le désamorçage ricanant crétin à la Rodriguez, ni l'encadrement bien pensant sûr de soi à la Stone (pour citer deux cinéastes que j'affectionne). Deux-trois choses à chaud, tout de même… Ce n'est encore que la première vision d'une première version du film, mais ce mirifique fatras bergsono*-mélodramatique (avouons-le, toutes ces circonvolutions narratives suturées façon “polar à tiroirs“ ne sont au fond que prétexte à une envoûtante dérive vers une rêverie à valence symbolique orientée politique et psychanalyse, et dont les vagues relents opiomanes Sci-Fi tantriques sont saisis en pleine mutation vers la fâcherie réactionnaire - en phase avec l'avant-garde des mid-70s, anti-hippie & protopunk, pour le dire vite) m'a touché moins par sa force esthétique (surtout le pot pourri musical, qui joue trop la corde épique - au sens que donne Brecht à ce mot : une distanciation -, alors qu'il aurait pu être moins sec et signifiant, comme dans la séquence de l'enterrement portée par Simon et Garfunkel ou le surgissement d'Hendrix pour une trajectoire en vaisseau spatial. De manière générale, le film aurait dû à mon sens s'abandonner plus franchement à l'exploration de la durée, à une propension plus marquée à la flamboyance rythmique plastique - version longue?) que par la bravoure risquée de son positionnement, au mépris flagrant de l'action et du divertissement bloque-bastère. Certes, ça cause et ça traîne beaucoup - mais, parmi les solutions contemporaines pour déjouer l'éclatement SFX synthétique mongoloïde type Transformers, mode de fabrication désormais réservé exclusivement au public enfantin, cette lenteur et cette logorrhée ne doivent pas être confondues ni avec celle, platement narrative et psychologique, en vogue dans la plupart des derniers films de super-héros, ni avec celle, explicitement grotesque et incantatoire, du Spirit, alias l'ultime bouffonnerie seppuku de Frank Miller. Cette démarche (en gros, (dé)tourner un de ces gros machins à millions pour faire de la poésie et de la philosophie - du pas vu depuis MI2, voire des bouts de Hulk) est si rare qu'on se doit de la respecter et de la chérir, même si elle s'inscrit en fin de compte assez logiquement dans le prolongement du propos postmoderne d'Alan Moore, dont le graphic novel sur-légitimé pointu intello, en dépit de ses ventes phénoménales, venait essentiellement discourir sur la problématique super-héroïque, au lieu de vulgairement lui “rendre hommage“ ou de la “revisiter“. Dès lors, le film, en dépit des apparences (le personnage féminin et ses traumas avec papa-maman et des mecs aliénés peine-à-jouir, topiques heureusement transcendées), emprunte des voies bien éloignées de l'entreprise nostalgique fandom de psychologisation à outrance de ces figures patrimoniales pour Ricains, logique caractéristique des dernières adaptations de Batman, X Men ou Superman. A part Dark Knight, dont la moitié du métrage réussissait l'élan mythologico-symbolique, tous ces films se sont révélés, vous le savez mieux que quiconque, d'abominables merdes soporifiques. J'ai avant tout adoré le personnage de Rorschach, particulièrement abouti dans sa verve anar de droite, énervé par “tous ces“ métèques dégénérés et psychiatres libéraux tolérants. Rorschach, parfait défenseur solitaire des valeurs fondatrices de la démocratie américaine face à la montée du soft-totalitarisme contemporain. Cette menace qui est incarnée ici, bien plus que la méga-puppet nixonnienne et son improbable team “trooper couillon“ + savant aliéné de service, par celui qui, au sein du récit, surclasse justement en infamie cette fine équipe de ratés : magnifique concentré de paranoïa neocon que cette figure d' (retenez votre souffle) aryen-écologiste-corporate capitaliste-mondialisé-égyptologue-orientalisant-terroriste-traqueur de vétérans! Snyder est décidément très à l'aise avec une telle diatribe manichéenne, ainsi que le démontrait déjà sa parfaite lecture du 300 de Miller. Jusqu'au repiquage courageux des pires raccourcis limite Gobineau enquillés par le grand romancier graphique : revoyez par exemple dans 300 les yeux démoniaques du loup qui se fondent en hideuse face négroïde-sémite; dire qu'ils ont laissé faire ça!!! . Ainsi, dans son Watchmen, le cinéaste n'hésite jamais à représenter un monde totalement conforme au délire paranoïaque de Rorschach. En témoigne encore cet enchaînement de deux séquences de prison, envisagée comme l'espace où se déploient successivement les deux visages de l'aliénation à de nouvelles formes de régression barbare (si je ne m'abuse, celles-ci sont interprétées par les deux seuls protagonistes Afro-Américains de tout le film - ce qui est parfaitement conforme au bouquin, d'ailleurs) : d'abord le côté hard, celui du convict aliéné - on rejoue la scène d'ouverture de Wild At Heart avec le solide passage à tabac d'un séide à lame agressive -; puis le côté soft (on crime) du psychiatre qui appréhende le Mal par le mauvais bout de la lorgnette. J'allais dire: par sa pseudo-science, mais je ne suis pas sûr d'avoir encore bien saisi: la psychiatrie est-elle in fine condamnée ou au contraire légitimée par le masque de Rorschach (le personnage)? Quand ce dernier se moque lui-même du fameux test par l'entremise de sa parole (évocation verbale de choses inoffensives), le film dément ces énoncés et proclame la pertinence de la méthode de Rorschach (le vrai): les taches qu'exhibe le shrink devant le sujet produisent bel et bien des flashes d'un traumatisme réel (en l'occurrence, des flashes back abjects de la visite purificatoire du Vigilante chez un Landru qui a trop lu Martine). PS Je suis fasciné par tous ces télescopages propres aux films hollywoodiens récents : - la figure d'épouvantail du child molester (tellement Schumacher-90s!) revu chez Eastwood récemment - d'ailleurs la propre revisite du mythe du Vigilante par le grand Clint est actuellement dans nos salles - la montre géante (et «mon père est horloger»!), ainsi que la thématique du vieillissement (l'épouse qui se lamente: «Toi, contrairement à moi, tu n'as plus de rides, nous ne finirons donc pas nos jours ensemble»), autant de traits qui relient le Dr Manhattan à Benjamin Button - les accords wagnériens qui surgissent dans Walkyrie, Button et ce Watchmen… * dans Matière et Mémoire (1896), Bergson rappelle que l'activité de la mémoire se fonde sur le croisement de diverses temporalités, le présent étant fonction de l'amoncellement des différentes couches du passé, comme de l'avenir. Une conception qui fait écho à celle exposée par Saint Augustin dans ses Confessions et utilisée par E. H. Gombrich dans sa réflexion sur la représentation picturale du mouvement : le présent ne peut se définir que dans une relation constante à l'expérience passée et à l'anticipation du futur. |
Le film loupe de peu le score maximum, car je l'ai trouvé un poil long. Sinon, c'est une des plus belles réussites dans le domaine de l'adaptation d'un comics. Dommage peut-être que les scénaristes aient abandonné la mise en abîme que le plan d'Ozymandias suggère dans la BD originale. |
Est-ce que tu sais quelle version tu as vue? Il me semble qu'il y a une version cinéma, une version DVD avec des scènes en plus et une future version encore plus longue avec le black freighter et un autre truc insérés... Sauf erreur, dans la version longue actuellement disponible en DVD il y a (entre autres?) la mort de Night Owl 1 qui n'est pas dans la version cinéma. |
... il n'y avait pas la mort (que j'attendais) du premier Hibou. |