3,5 Pas convaincu par tout mais difficile de mettre moins. |
Impressionnant. J'ai moins été envoûté par la troisième heure (les petits veaux…). Mais tout de même… donner autant le sentiment du drame avec si peu (mais vraiment si peu!) c'est assez incroyable. Pas loin de von Trier pour l'importance historique (travail sur les formes cinématographiques). Par ailleurs, Kechiche se lâche enfin et n'a plus besoin d'excuse post-colonialiste pour se laisser aller à ses obsessions sexuelles les plus vulgaires (la deuxième grande scène de danse, à la discothèque, bat sans aucun doute le record du monde de booty shots totalement inutiles et obscènes, dégradants, et tout cela clairement ancré dans le regard du jeune héros poète qui ne couche pas mais fait de belles photos – Kechiche jeune). |
Ne serait-ce pas plutôt "chassez le post-colonialisme, il revient au galop"? Pour moi, c'est une version subtile, souvent belle et incroyablement bien foutue d'Hélène et les garçons, mais avec le regret du recours à ce schéma de l'alter ego qui est vraiment ultra lourdingue. Je ne l'aurais pas écrit comme ça, mais cette lecture me semble très juste à plusieurs égards (même si elle omet le fait que la question du voyeurisme est thématisée dès la première scène): http://genre-ecran.net/?Mektoub-my-love La réponse est aussi pertinente sur plusieurs points. |
Merci pour la référence à ce texte qui permet de réfléchir à ce qui fait la singularité et la force de ce film. Je me permets de faire quelques petits commentaires à chaud sur un ton léger et graveleux entre potaux, donc à ne pas faire circuler plus loin sans me demander avant, please. Article qui part de bonnes intentions, et qui relève pas mal de choses très justes, surtout sur les figures masculines : l'obsession du mâle arabe sur la femme blanche, l'effacement de l'homme blanc (pour une fois, on ne va pas s'en plaindre, n'est-ce pas?) Mais article qui souffre de profonds problèmes de réflexion, de méthode, qui montre bien les limites que rencontre ce type d'analyse quand elle est conduite par des personnes qui maîtrisent assez mal les particularités, les conventions, les formes du "cinéma" au sens large. On veut ici "tout faire tenir ensemble" alors que l'on a précisément dans un film pareil (contrairement à un machin hollywoodien formaté où on aura pensé très précisément la cohérence d'ensemble des représentations) des axes d'opposition, des variations, des progressions, et même (oui ça existe!) des contradictions : ainsi les deux scènes de danse, que l'article rassemble dans un même propos synthétique, sont complètement différentes, voire opposées, dans ce qu'elles montrent comme situation, dans la manière dont elles représentent l'interaction, etc. La danse de Céline avec le type qui la drague – son choix délibéré et très étonnant, d'ailleurs – dans le café est très singulière dans son propos sur le couple, la séduction, et n'a rien à voir avec la séquence de la disco… Mon principal problème, c'est l'analyse superficielle des figures féminines: le personnage d'Ophélie aux fesses charnues ne peut être assimilée au paradigme de la "femme blanche" au même titre que la jeune touriste Céline (je me fais moins sérieux une seconde : cette jeune fille est éblouissante, non? je me suis souvent identifié, pendant tout le métrage, au merveilleux quadra exubérant et bedonnant qui la poursuit continuellement de son assiduité sur le mode "ma Gazelle ti es si belle épouse moi!"). Mais je reviens à Ophélie. Un personnage dont la complexité met immédiatement à mal toute tentative de la réduire à une occurrence de "femme blanche": son physique, son langage, son accent, sa manière de se mouvoir, tout ce qu'elle dit et fait dans ses scènes, ses interactions sociales : tout cela la rapporche continuellement du groupe – lui-même assez bigarré au fond, contrairement à ce qu'affirme l'auteur, mais je n'ai pas le temps de commencer à relever tous les problèmes posés par ce texte – groupe formé par les femmes apparemment"arabes" de la même petite ville, ces femmes dont on comprend qu'elles font partie du même milieu, depuis toujours, ces patronnes de café et autres matrones "avé l'assent" qui lui donnent de la "petite" comme dans un Pagnol. Le fait qu'Ophélie soit une sorte de paysanne, également, est un trait d'une profonde originalité qui a pour but de déjouer totalement toutes ces tentatives de l'enfermer, de la réifier, de la catégoriser comme "femme blanche" au même titre que la touriste Céline (elle-même d'ailleurs très différente de sa copine, ou de la mystérieuse touriste de l'Est, etc.) Le film joue sur le va-et-vient entre communauté qui rassemble (on fait tous la "fête"! on va tous à la plage, etc.) et l'ensemble de ces discontinuités et ces contradictions qui montrent combien il est impossible d'enfermer quelqu'un dans une catégorie donnée. L'article se fonde sur le refus de prendre en compte de telles nuances, une telle complexité. Ainsi, sur la grande scène de danse à la disco, nous dit-on: "Le pire se produit dans la boite de nuit à la fin du film. Peut-être que regarder ces femmes complètement bourrées faire de la pole dance les unes sur les autres…" Le "pire" dont parle l'auteur, c'est l'objectivation des soi-disant "femmes blanches" dont on parle avant, puisque l'auteur s'évertue à placer Ophélie dans le même groupe que les deux touristes. En fait dans cette scène, parmi les supposées "femmes blanches", seule Ophélie danse, surélevée sur une sorte de piédestal "pole dance"(exhibition immonde, absolument objectivante et dégradante, pas de doute là dessus) et elle est accompagnée dans cette danse obscène par sa tante "arabe" (jouée par l'actrice de La Graine et le mulet). Ce sont justement les deux femmes qui mettent le plus à mal la notion de "femme blanche" comme de "femme arabe". D'un côté, la petite paysanne du Sud ultra-bronzée aux cheveux foncés qui ressemble à une "arabe" et est quasi indissociable de cette communauté "arabe", si tant est que cette catégorie "arabe" aurait du sens dans ce film, puisque les personnages le sont presque tous, ce qui pousse à trouver de nouvelles manières de penser les distinctions entre les personnages) D'un autre côté, la tante, femme "arabe" dans la trentaine, complètement assimilée (avec son copain blanc motard hors sujet mais dont on ne fait pas de cas particulier). On ne peut donc pas dire que c'est LE corps de LA "femme blanche" qui est ici exhibé dans cette scène de danse. Vraiment pas. Il y a beaucoup d'imprécisions du même ordre dans ce texte, assez graves. On y condamne par exemple le fait que l'identité dans le film se réduise au fond à des traits "exotiques" assez superficiels. Mais c'est justement une caractéristique des jeunes immigrés de seconde génération (complètement intégrés dans la société où ils sont nés, mais maintenant coûte que coûte leur rapport à leur société d'origine). La force du film de Kechiche c'est de traiter le cas "arabe" au même titre que pour pour d'autres Français d'origine immigrée (les Espagnols, les Italiens, les ressortissants de l'est, les Juifs "pieds noirs", etc. : un folklore secondaire). On le voit bien avec la langue : les soi-disants Arabes ne savent même pas forcément comment on dit "je t'aime" dans ce qui n'est pas leur langue principale, et Ophélie participe d'ailleurs à la discussion – il faudrait que je revoie la scène, mais j'ai l'impression que c'est elle qui a la solution, non?) L'analyse, complètement orientée, comprend de travers le sens de la séquence et y voit une forme de réductionnisme qu'elle est la seule à pratiquer, en l'occurrence. Certes, en France, le "cas arabe" est à part des autres communautés, c'est clair, et la manière dont Kechiche traite ce "problème" est très, très particulier (une communauté méditerranéenne, une ville touristique du Sud où on se croirait en Afrique du Nord, et où le seul but de l'existence semble être faire la "fête", prendre du bon temps et où les barrières sociales n'existent pas vraiment), et probablement à côté des problèmes que rencontrent les jeunes dits "des cités", etc. Mais on peut apprécier cette relativisation du "cas arabe", ce regard qui n'est pas totalement dénué de réalisme, et qui cherche à montrer la complexité des constructions identitaires. En refusant de prendre en compte ces particularités, l'article tombe complètement à plat (du moins sur les femmes, la partie dédiée aux hommes est plutôt solide et convaincante). Enfin, dernier reproche à ce texte : il se termine sur le constat qu'on en est plus là, que le traitement des situations, des rapports entre les jeunes, etc. est vraiment daté, dépassé : """"""Kechiche n’a pas compris que son schéma de l’homme arabe n’envisageant une relation amoureuse qu’avec une femme blanche, en mettant sur la touche les femmes arabes, est totalement dépassé. Les figures du « sauveur blanc », comme de « la femme blanche – trophée à exhiber », sont beaucoup moins valorisées aujourd’hui par les hommes arabes et les femmes arabes, elles sont même associées de plus en plus à de l’aliénation dont il faut se sortir. Aujourd’hui, les hommes arabes s’aiment assez eux-mêmes, et assument suffisamment qui ils sont, pour ne pas exclure d’aimer une femme arabe. Et les femmes arabes s’aiment assez elles-mêmes, et assument suffisamment qui elles sont, pour ne pas exclure d’aimer un homme arabe. Kechiche ignore visiblement cette évolution sociale. C’est pourquoi son film est daté, pour ne pas dire périmé."""" Ce constat est très étonnant, puisque le film se passe en 1994. L'auteur l'avait d'ailleurs fort bien relevé, expliquant de manière convaincante que cela représentait une manière de concevoir l'homme arabe moins crispée que la vision "fondamentaliste réactionnaire, un couteau entre les dents" à laquelle nous sommes si habitués de nos jours: "… il est important de souligner que la représentation dans Mektoub, my love de l’homme arabe n’envisageant de relation amoureuse qu’avec des femmes blanches est très située dans le contexte des années 1980/90 (le film se passe en 1994). Les années 1980/90 marquent notamment une époque où, dans les médias, les hommes arabes étaient beaucoup moins représentés comme menaçants pour les femmes. Ce sont ces années 1990, plus « favorables », qu’a connues Kechiche quand il avait 20 ans. C’est un très fort élément de contexte de son film. Avec le 11 septembre 2001, la loi de 2004 contre le foulard à l’école, la création de l’association Ni putes ni soumises, et la représentation omniprésente dans les médias du « garçon arabe » violeur/voileur, les choses ont bien changé. L’image des hommes arabes aujourd’hui dans l’ensemble des espaces sociaux est très négative."" On pourrait discuter ce genre de constat en grandes "tendances" bien floues (l'article en est truffé), mais peu importe, OK. Par contre ce que je ne comprends pas, c'est le problème du film, dès lors : Kechiche aurait donc dû mettre en critique le modèle nuancé et ouvert, celui qui prévalait lors de sa jeunesse? Tout cela parce que, depuis cette époque, ça a changé? Ou alors chercher ce qui n'allait pas, alors, l'hypocrisie de cette époque soi-disant plus ouverte? Et qu'aurait-il dû faire? En quoi est-il condamnable et victime lui-même d'une forme de post-colonialisme? Je n'arrive pas à le comprendre. |
Merci Lolo pour cette exégèse tout à fait bien vue, tu devrais l'expurger de ce qui te gêne et la mettre en ligne sur le site, ce serait intéressant! Malheureusement, je ne me souviens plus assez bien du film pour argumenter avec plus de précision, même si je me rappelle du statut effectivement "intermédiaire" du personnage d'Ophélie, sorte de chainon manquant entre les communautés. Ce que j'avais trouvé gênant, pour ce personnage, était le fait qu'il se retrouve finalement relégué au marge de l'intérêt amoureux du personnage alter ego de l'auteur/voyeur, précisément en raison de sa soi-disant vulgarité lors de la scène de boîte, mais peut-être que mon souvenir n'est plus assez clair (sortie DVD fin juillet). Par contre, je trouve le commentaire de l'autrice sur la représentation des femmes assez juste, surtout quand elle est mise en perspective avec celles des hommes du film. Mais ma véritable déception, sans doute toute personnelle, tient plutôt et surtout à cet éloge de la DISTANCE, des relations éthérées et de la décélération via la figure de l'auteur alter ego (cette scène d'accouchement, pitié!!!), discours aux antipodes du caractère vivant, incarné et charnel des relations célébrées dans La Vie d'Adèle. A ce titre, la phrase conclusive du film est vraiment consternante. Ah, j'allais oublier, OH OUI, le personnage de Céline est en effet pour le moins troublant et magnétisant!!!!! D'ailleurs, si ce Mektoub s'était voulu dans le sillage discursif de La Vie d'Adèle, c'eût été, à n'en pas douter, un film centré sur elle! |