Quelle surprise! Le film signalé par Robert sur le groupe Whatsapp, autour de la mafia, n'est autre que la dernière œuvre de… Mosco Levi Boucault!!!! Oui, l'auteur du Roubaix,commissariat central, sur lequel s'est (très, très) intensément basé Desplechin pour son dernier film, jusqu'à la repique mot pour mot de la plupart des dialogues, voir cet article. Je vous ai transmis un lien we transfer pour ce film. Quand je me suis lancé dans la recherche des autres films de ce Monsieur Boucault, je suis tombé sur ce dernier opus, conseillé par ailleurs par Robert, et m'y suis donc plongé aussitôt. Le film est en sortie via le canal d'Arte, disponible gratuitement sur le site jusqu'en octobre. Il est par ailleurs, contrairement à Roubaix, disponible en DVD. Il s'agit en fait d'un dyptique de deux longs métrages, le premier retraçant la montée en puissance de Toto Riina ("Le Pouvoir par le sang"), le second sa cavale et déchéance finale ("La Chute"). Comme les précédents Boucault (notamment un film sur les Brigades rouges), on met l'accent sur les témoignages d'acteurs impliqués, en l'occurrence les criminels… nous sommes loin des documentaires chic horrifiés par les talking heads. Ici la facture ne prétend à pas à grand chose, très classique, pour ne pas dire conventionnelle (voix off avec musique, documents d'archives et témoignages face caméra). A la différence près qu'on accorde une place centrale à la parole et, surtout, à une approche froide, clinique, sans trop de pathos, qui décrit le système maffieux et la litanie des meurtres commis en son nom. Ce qui m'a vraiment plu, c'est la capacité du film à nous débarrasser progressivement de la mythologie de la mafia (un peu comme le faisait, en fiction, le très singulier Anime nere, il y a quelques années). Des racines culturelles de Cosa Nostra (les représentants locaux des grands propriétaires terriens qui possédaient les terres en province) jusqu'à sa forme moderne d'après le fascisme (des arrivistes de plus en plus sanguinaires), tout ce qui a trait à son supposé code d'honneur, ou au "respect", etc. vole en éclat devant le constat froid de la logique unique du profit matériel et du pouvoir autocratique sans limite – qu'incarne emblématiquement Riina. Cette vision est la même que celle des films de yakuza de Fukasaku, Suzuki et autres, à partir des années 60, et où on voit de vieux salopards oyabun se gargarisant du "code d'honneur" et envoyant en réalité des jeunes à la mort, trahissant à peu près tout le monde. J'adore le moment, dans le film de Boucault, où le savoureux procureur Ayala (seul survivant des magistrats de l'époque) nous signifie clairement ce qu'il pense de tous ces membres de Cosa Nostra… des "merdes", rien d'autre. On termine convaincu et on en veut un peu à toute la ciné-mythologie – largement ricaine – qui n'a cessé de travailler le sujet : rien de sexy, de drôle, de divertissant (tendance Tarantino); ni même de profond ou de tragique (tendance Coppola-Scorcese) là-dedans. C'est ailleurs qu'il faut chercher les traditions d'honneur, l'esprit clanique, qui manquent évidemment à nos sociétés consuméristes-individualistes, cette Sicile-là (magnifique citation de Shakespeare en exergue des films, autour de la "terre de rêve" transformée en "terre d'enfer"), les mafieux n'en sont que l'expression complètement dévoyée – elle-même, probablement, modélisée, déjà, sur des schémas importés des Etats-Unis, ce dont le film ne parle pas du tout mais qui pourrait être une voie formidable à explorer. Le film nous fait aussi réfléchir sur la tendance plus récente du genre (dont les classiques évidents sont les séries Narcos et Gomorra, plus "historiques" et sociologisantes, qui montrent très bien la même logique mortifère qui passe par l'embrigadement de la jeunesse au nom de supposées valeurs communautaires en perdition). Réfléchir parce que leur succès n'est évidemment pas lié à leur perspective critique, mais bien au fait qu'ils ont réussi à intégrer cette dimension noire et désespérée, sans truculence ni héroïsme tragique, au mythe, ou du moins à la forme divertissante et consommable de celui-ci. On attend aussi, évidemment, le film de Bellocchio sur Tommaso Buscetta (ses apparitions au Maxi-Procès sont parmi les scènes les plus fortes du film de Boucault). Dernière chose : c'est un très beau film sur la photographie… (le film est rythmé par les images des cadavres, avec à un moment l'intervention d'une photographe spécialisée dans ce type de clichés). |
Eh bien dites-moi, à propos du Buscetta-trend, pas seulement dans moins d'un mois, le Bellocchio (déjà en DVD en Italie, dur, dur de résister!!!!) mais aussi ce documentaire qui sort à la même période : https://www.youtube.com/watch?v=JnH8Sgpw-3U |