Film: La Vie d'Adèle

Charles-Antoine () a dit:
2.5: ça fait quelques jours que j'ai vu le film et je reste très partagé entre mon enthousiasme et une irritation irrépressible, mais il laisse à coup sûr une empreinte durable.

Après une longue réflexion et une bonne discussion bien arrosée sur le sujet: plus de doute, masterpiece!


Robert () a dit:
Kechiche est bien sûr très à l'aise de sa description du monde d'Adèle mais moins dans celui d'Emma et l'opposition qui en découle est dès lors un peu lourde.

Une des grandes réussites du film est par contre de peu dramatiser la question de l'orientation sexuelle ou de l'homosexualité féminine (aux grandes théories sur l'unicité de l'orgasme féminin Adèle répond par un "je ne sais pas, ça ne fait pas de différence") pour s'attacher au contraire à l'urgence du sentiment amoureux et sa fin inéluctable.

Mais si le film nous emporte c'est aussi grâce à la performance d'Adèle E. qui irradie l'écran de sa présence physique et sa force de vie. Il aurait d'ailleurs pu s'intituler la Bouche Ouverte en hommage à Pialat, tant il se focalise sur celle d'Adèle, organe ouvert à tous les besoins, les découvertes et les émotions.

Deux plans restent particulièrement gravés sur ma rétine: celui de l'attente fébrile des bouches d'Adèle et Emma baignées par le soleil sur un banc et celui de la main d'Emma qu'Adèle tente de manger une dernière fois dans l'obscurité d'un café.
Toute la beauté et la dureté d'une relation sont contenues dans ces deux plans.

Plusieurs jours après sa vision le film reste fortement en moi.





Robert () a dit:
je repense aussi à cette très belle gestion du temps dans la dernière partie du film et notamment à ce plan boulevesrant d'Adèle qui lave son corps avant de revoir Emma. Douce mélancholie d'un rituel de séduction mais aussi apaisement d'un corps qui a accepté la séparation d'avec l'autre et peut poursuivre son chemin seul.

ce film me hante


Jean-Luc () a dit:
3,5


Frederico () a dit:
Il y a beaucoup à dire sur le film mais je vais garder trois ou quatre choses (TOTAL SPOILER):

1) Je marche chez Charles là, mais le discours m'a semblé super glauque et paradoxal. En effet, quand Adèle est chez les parents d'Emma, elle dit vouloir devenir institutrice car elle-même a été enrichie par ses professeurs, qu'ils lui avaient ouvert des portes vers un monde que ses parents n'auraient pas pu lui faire découvrir. On veut bien qu'elle n'ait pas le goût de l’intellectualisation de la culture qu'elle consomme, on veut bien qu'elle ne soit pas intéressée à produire elle-même de la culture pour les autres, mais on s'attendrait quand même à se qu'elle fasse preuve de curiosité, mais ce n'est pas du tout le cas. Elle est aussi présentée comme cinéphile (et anglophone), ce qui pourrait donner lieu à des échanges (tu me fais découvrir ce peintre, je te fais découvrir ce réalisateur), mais c'est pratiquement évacué du récit (le cinéma joue uniquement un rôle dans son rapport aux hommes étrangement, l'anglais ne joue aucun rôle).

Le film se concluant sur le même coda que la rencontre initiale avec Emma (on se croise sans savoir si on se reverra sur fond de musique au Hang - instrument suisse soit dit en passant), le discours devient: le destin des non-cultivés sans ambition est de rester entre eux. Ça ne serait pas un problème si les deux choix de vie étaient posés comme équivalent, mais le complexe d'Adèle, dont elle ne s'affranchi pas, renforce l'idée que ce n'est pas le cas et qu'il n'y a pas de mobilité culturelle.

2) The elephant in the room: c'est quoi l'idée des scènes de sexe interminables? Je comprendrais si il y avait une dramaturgie interne aux scènes où si il y avait une progression dans leurs rapports, mais là on pourrait mélanger des plans des deux scènes principales et on ne le remarquerait pas. Il me semble qu'on peut montrer la passion et mettre les corps en jeu sans recourir à un syntagme fréquentatif de 6 minutes! Maintenant si le but était de faire marrer les lesbiennes, je crois comprendre que ça marche assez bien.

3) Il y a un truc assez hallucinant sur la maturation d'Adèle (ça tombe bien, c'est au coeur du film). Mais si dans la présence, les costumes ou les attitudes cette évolution (et parfois ces retours en arrière) est frappante, j'ai quand même un problème avec le fait qu'elle s'exprime toujours comme une ado mal dégrossie quand elle est institutrice.

4) Pour un film de trois heures à la trame finalement très épurée je trouve la dispute de rupture pas très bien construite. Le thème de l'homosexualité cachée y intervient alors qu'il n'a jamais été véritablement débattu par le couple dans le récit et alors qu'on pourrait s'imaginer qu'Emma soit ébranlée par la révélation d'Adèle ("je me sentais seule"), elle repart directement au point de départ sans s'en préoccuper.


Robert () a dit:
Ton premier point me fait penser à un article sur lequel je suis tombé dans l'Hebdo qui arguait que le coeur du film n'était pas la question de la relation amoureuse mais les rapports de classes et l'impossibilité au final pour ces deux êtres de milieux sociaux-culturels différents de vivre ensemble. Si l'on considère le film sous cet angle alors je le trouve assez faible, mais il me semble heureusement qu'il dépasse largement cette lecture.

La fin du film est ouverte et j'y vois visiblement quelque chose de fort différent de toi. Pour moi s'il y a un personnage mobile au sens propore du terme c'est bien Adèle et son départ vers d'autres horizons relève au final d'une autonomie gagnée et non d'une solitude forcée.

Je pense qu'il faut comprendre les scènes de sexe dans la logique de dilatation et de contraction du temps et des corps à l'oeuvre dans le film.
Je vois une progression dans celles-ci tant au niveau de leur longueur que de leur déroulement: on passe ainsi d'une longue découverte des corps et de leurs possibles à un rapport plus mécanique et ordonné et pour finir à un absence de rapport. Ces scènes me semblent aussi aller au delà de la question de la lesbianité pour tendre à une certaine universalité du sexe dans lequel il s'agit toujours au final d'explorer les différentes façons dont deux pièces peuvent se combiner l'une avec l'autre.

La dispute de rupture peut en effet sembler assez bancale mais en y réfléchissant je la trouve au contraire très juste car elle vient concretiser par des pretextes une séparation physique des corps qui a déjà eu lieu avant (depuis un moment Adèle et Emma ne sont ainsi plus dans les mêmes temps/plans).

La beauté du film réside dans ce traitement plastique de l'évolution du rapport entre ces corps.


Frederico () a dit:
Je ne suis pas tellement d'accord sur l'idée d'une fin ouverte.

La lecture de la rencontre avec Emma est conditionnée par les deux séquences d'étude de textes classiques, qui mettent en avant la rencontre ratée (les deux personnages se croisent et l'un d'eux regrette de ne pas avoir arrêté l'autre) et d’inéluctable destinée (le récit a un auteur qui fait se rejoindre les personnages). Comme la fin se joue exactement sur le même mode (il tente de l'arrêter mais c'est trop tard) et sur le même ton (les sons éthérés du hang comme pour souligner qu'une instance supérieure est à l'oeuvre), difficile d'argumenter qu'on ne doit pas en inférer la même conclusion, soit qu'ils se retrouveront et formeront un couple.

Si le gars ne ressortait pas de la galerie, si il n'y avait pas la musique, je serais d'accord: un chapitre de la vie d'Adèle se clôt et elle repart à l'aventure. Mais il ressort et il y a la musique.


Robert () a dit:
Intéressant. Pour moi le retour de cette musique marquait la fin du chapitre de la vie d'Adèle qui avait commencé par celle-ci et la rencontre avec Emma.

La discussion d'Adèle avec cet homme et la façon dont elle quitte ensuite la galerie sans hésiter ou se retourner me fait penser qu'elle ne partage pas l’intérêt qu'il lui porte, et qu'il fait partie de ce passé qu'elle désire laisser derrière elle. J'ai dès lors un peu du mal à imaginer qu'ils finissent en couple un jour. Dans toute cette scène je trouve qu'on sent Adèle déjà ailleurs.


Robert () a dit:
à part ça Kechiche a annoncé sortir une version de 4h pour le dvd